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La petite culotte


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...
Le cas Morgenstern

«Le Rêve est une seconde vie. Je n’ai pu percer sans frémir ces portes d’ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible.»

Aurélia, Nerval

 

«Je ne suis rien, donc je perds ma femme – proposition qu’on pourrait inverser.»

Ne voulant plus rien voir de l'hôtel Lenoir, de la ville de Fontainebleau ni de l’existence, victime de soudaines pulsions suicidaires, Gilles hésitait à appeler dès le lendemain le cousin Wekstein quitte à se résoudre à la prise de ces antidépresseurs dont on sait les effets indésirables, parmi lesquels les éruptions cutanées (au souvenir de l’acné rosacée de son enfance, il frémit), l’accident de voiture (au volant, le type dormait), l’œdème de Quincke, mortel sous sa forme laryngée, la baisse de libido, enfin, laquelle restait le moindre mal, puisque sur la couverture aux miroirs, on ne faisait plus que regarder des films, à la télévision, dont ceux d’Ernst Lubitsch dont Ariane raffolait. Bien. Appeler dès lors Wekstein ou PAPADAKIS LUI-MEME, qui, disciple de C. G. Jung et en conséquence disséqueur de rêves, consultait à Paris près du Champ-de-Mars...
Refoulant les pulsions suicidaires, c’est d’une humeur ragaillardie que notre homme envisagea la partie de tennis psychique qui se jouerait avec le Dr P., avant de considérer la longueur, le coût du traitement, en sus d’un transfert, perturbant à plus d’un titre, sur le Dr P., de la mauvaise haleine éventuelle du Dr P., et peut-être aussi sa fille lui ressemblait-elle trait pour trait, et le Dr P. était-il cette virile odalisque aux cils battants dont fuir le cabinet sans attendre son reste, le transfert, alors, se faisant lourd de conséquences, et – ce qui était moins onéreux – ne plus parler qu’au chat, que le vétérinaire devait, à propos, détartrer... N’importe comment, le recours à Papadakis dans le cadre d’une psychothérapie jungienne impliquait qu’il racontât par le menu, au père de Mona, sa vie diurne et nocturne, la vie d’un homme chez qui, au plus fort d’une canicule dont ne pas sous-estimer les effets, l’absence de sa femme avait induit nombre d’états seconds, allant du confusionnel à l’extralucide en passant par de splendides phases oniriques, oui docteur : à présent, rien de mon sommeil profond n’est épargné, oui docteur, votre patient est une exception, chacun dans la phase du sommeil profond DORT comme un abruti, quand moi – ou bien n’ai-je plus de sommeil profond du tout –, je VOIS et peux me téléporter comme un chamane inuit, un sâdhu de l’Inde, évitons le sujet indien, c’est que je danse au bord des gouffres, docteur, depuis que votre fille me l’a enlevée à Lesbos, aurais-je pris du LSD que je ne verrais pas autant de choses surprenantes, et au-dessus d’un miroir rocaille dans un palace délicieusement vétuste en Seine-et-Marne, des chérubins me viser de leurs flèches, c’est que me voici, docteur, doué d’empathie, d’invisibilité, de médiumnité suraiguë, il ne me reste qu’à tirer les cartes, une chouette chevêche sur l’épaule, la chouette étant, ne vous en déplaise, l’image de la réflexion qui domine ces ténèbres qui sont votre fonds de commerce – et parmi le jeu, de retourner ma carte qui ne peut être que celle du Pendu, je sais, docteur, que je suis toujours, que je suis absolument, que nul n’aura été plus avant dans le domaine jungien...
Sur ce, les sourcils de Gilles se haussèrent à l’idée d’un conflit entre le cousin Wekstein brandissant ses ordonnances qui sont des parchemins, et Papadakis armé d’ouvrages épais à caler le pied d’une armoire et traitant essentiellement de la psychanalyse des contes de fées : Wekstein va me droguer jusqu’à l’os, piluliste qu’il est, et l’autre me prélever un soupçon de matière grise à la pipette pour l’examiner avec la minutie d’un archéologue sur son champ de fouilles, ceci afin de retourner aux sources du Moi... Pendant toute la durée de l’absence de ma femme, docteur, dit-il à P. dans un souffle, on ne sait quel esprit malin a imprimé un mouvement de balancier incessant et incontrôlable entre mon conscient et mon inconscient, et je bois du scotch à l’heure du thé, oui docteur, et à quel stade de la décrépitude va-t-elle me retrouver, si toutefois elle retrouve quoi que ce soit de la rue d’Aumale et ne part pas aux antipodes de Fontainebleau et de la butte Montmartre... (Gilles tombe dans la nasse enchantée d’un demi-sommeil).

«Une gélule par jour de Xarovax, et qu’elle vous revienne ou non, fini des troubles de l’humeur, rien ne démentira plus votre équanimité ou bien (le Xarovax fait cet effet-là à certains patients qui le préfèrent au haschish) vous mourrez de rire chaque jour jusqu’à votre dernier», disait Wekstein.
«Allongez-vous, ordonnait Papadakis, et dites-moi tout, ah, votre femme, avec ma fille? Ma fille est Bélier ascendant Bélier, précisait Papadakis d’un air profond – ce qui explique... bref... (il se tord le nez violemment entre l’index et le médius)... bref, que lorsqu’elle veut quelque chose, elle l’obtient, je ne vois pas qui pourrait mieux en témoigner que son père... L’homosexualité est une tendance non pathologique de la sexualité humaine, monsieur Morgenstern! (Il se peut donc, supputa Gilles, que les Papadakis soient gays de père en fille.) Mona est atypique, et dans cette mesure, la gloire de ma vie! Dès le berceau, une bombe sexuelle! Mona, modèle de libido infantile dans son épanouissement! Une perversité polymorphe éployée comme la queue du paon, et Dieu sait qu’il fait chaud à Athènes, ce qui favorise les tenues succintes! Dès quatre ans, dans les transports en commun, se frottant ardemment contre la jambe de pantalon, le mollet découvert de la personne élue... ce qui a nom, monsieur Morgenstern, frotteurisme – et que font d’autre nos animaux familiers pour marquer un territoire de prédilection! Après le frotteurisme, tout Athènes et sa banlieue ont eu le loisir, le bonheur, la chance, d’admirer le sexe de Mona! Elle en a pris plus d’un au dépourvu! Pas un ne s’est plaint, d’ailleurs! Tous ravis, remerciant, voire payant, et quelle honnêteté de la part de Mona que de m’avoir tout dit, si tôt! (Le Dr P. tourne autour du divan, les mains derrière le dos.) Savez-vous, je vous demande cela ex abrupto, que les déviants... mais oublions ce terme, qui renvoie à une société conformiste, prédéterminée, bref intolérable – préférons celui de variants sexuels, qui nous évoque des pratiques imaginatives, créatives, daliniennes, et dans le domaine musical, Bach et la verve impétueuse de ses Variations Goldberg, vous me faites une de ces têtes, vous n’aimez pas cette œuvre, bon. Savez-vous encore que les variants sont si satisfaits des plaisirs que leur procure l’existence qu’ils ne se plaignent jamais de rien? Et pourquoi se plaindraient-ils, puisque chaque jour de leur vie se passe à réaliser leurs vœux les plus secrets, et à en obtenir des jouissances quasi surhumaines? La névrose est bel et bien le négatif de la perversion, voir le vieux Freud, et ainsi, avant la thérapie, voyons-nous nous-mêmes nos patients, phobiques, neurasthéniques, hystériques, comme autant de momies recroquevillant au creux d’un thorax chétif des doigts réduits à l’os, spectacle attristant s’il en est... Chassons ces visions pathétiques pour en convoquer d’autres! Et celle d’une jeune fille qui est ma maîtresse, et une fleurette brune qui savait manier le fouet avant que je le lui apprenne! (Il rougit.) A Fleurette, qui adore parler aux animaux, je viens d’offrir un tarsier, de l’ordre des lémuriens, dans un but de communication dont j’espère qu’il sera vain : les hommes étant ce qu’ils sont, montrez-m’en un seul qui désire vraiment que sa femme parle à quelqu’un d’autre que lui! Mais vous avez sûrement un animal de compagnie – de savoir lequel me donnerait de précieuses indications sur le peuplement de votre espace intérieur... Comment, un chat? (Le Dr P. blêmit, les yeux lui sortent de la tête, auxquels Gilles décèle une légère mydriase.)
— Un chat! J’exècre ces bêtes dont j’ai fait brûler nombre au sommet des bûchers au temps de l’Inquisition, juste avant que je ne brûle moi-même pour hérésie, tout comme Urbain Grandier et Jeanne d’Arc! (Le Dr P. se ressaisit, s’assoit en tailleur sur le tapis, face à Gilles.) Donc pas de chat dans l’appartement du Champ-de-Mars mais, en plus du tarsier, un bichon maltais avec lequel Fleurette a de longs entretiens! Un jour, peut-être, le bichon aura-t-il ses chances! A vrai dire, la persévérance d’un bichon à conquérir la beauté est sans égale! Par rapport à la libido féminine, nous ne sommes rien, et rien du tout face à un bichon maltais! Un jour, le bichon sera son amant! (Le Dr P. se relève, se frotte les lombaires, maudit le pli froissé de son pantalon à pinces.) Les prouesses yogiques chères à Carl Gustav ne sont plus de mon âge, monsieur Morgenstern, ce qui est regrettable, tant elles facilitent la concentration et l’anamnèse – ce qui, je vous vois interdit, vous dont l’interdit et la censure sont tout particulièrement le fait, et me voici encore précédant ma pensée, ce pourquoi ils ont voulu me garder à l’hôpital – ce qui implique juste de garder une mémoire d’éléphant à propos de tout! D’éléphant! Tenez, j’ai rêvé hier d’écrevisses et d’iguanes que Fleurette tenait en laisse au bord d’une plage polynésienne, spectacle admirable, d’autant qu’elle était nue! Evitons de nous égarer et concluons sur les animaux dont, pourtant, le comportement donne souvent plus ample matière à réflexion que celui de l’humain! De la réflexion, il m’apparaît que vous aurez le temps, votre femme jouit avec ma fille, et quant au temps, nous n’en sommes plus à celui de Carl Gustav, qui ne parlait que de soucoupes volantes!... Dans les zones crépusculaires de l’inconscient, où le songe s’ouvre sur une nuit cosmique, il nous reste à détailler celles du Lenoir, où réside cette enfant qui est ma fierté : Fleurette est une potiche, monsieur Morgenstern, comparée à Mona, qui est une des plus remarquables personnes que j’ai rencontrées! En l’occurrence, engendrées! A six ans, Mona ne pouvait s’interdire d’embrasser sur la bouche toutes les fillettes de sa classe, en y mettant la langue, dont certaines, encadrées de leurs parents fous furieux, me parvinrent avec des traces de pinçons partout. Mona a multiplié les partenaires très tôt. Mona ne s’est pas contentée d’une vie fantasmatique, si formidable qu’elle soit, ni comme moi et tant de jungiens, d’être spécialiste de la Kabbale, de la culture maya et de l’art roman, Mona INCARNE ses rêves, monsieur Morgenstern, avec une efficacité qui implique une politique de résultat... Or et par ailleurs, il y a cette petite culotte que vous voyez dans 1) vos somnolences diurnes ou 2) à travers les turbulences de votre vie nocturne, veuillez noter que d’aller de 1) à 2) est le stigmate initial de la démence présénile – mais nous nous faisons fort de vous tirer de là, monsieur Morgenstern. Il y a donc cette petite culotte, à laquelle revenir, et pourquoi nous en écarterions-nous : le symbole est suggestif, évoque le calice, la rose ouverte, la matrice, et puisque vous parliez vous-même du tarot, la lame XI, dénommée Lust, de celui d’Aleister Crowley, où le thème de la luxure figure sous la forme d’une femme nue chevauchant un monstre tricéphale et tenant à bout de bras le moule en forme de tulipe d’un utérus embrasé, et c’est tout à fait Mona que cette amazone... La petite culotte, donc, monsieur Morgenstern : si votre obsession sur cette pièce de vêtement outrepasse les mesures de la raison, voici le sujet d’une toute nouvelle étude, et d’une future thèse que je signerai moi! C’est le lotus, aussi, et le joyau dans le lotus, et donc cette petite culotte est bouddhiste, et votre femme convertie à cette doctrine depuis belle lurette, je sais que vous en aviez le pressentiment, et où est ma trompe tibétaine? hurle-t-il, très échauffé et s’éloignant tant soit peu de l’école zurichoise. Tout à fait tibétaine et gloire du tantrisme, cette petite culotte, et gloire à tous les dieux si elle ensache de hautes fesses et une cambrure de sirène...
— Au cas où vous voudriez bien vous intéresser encore un tout petit peu à moi et non à la culotte, sachez, docteur, que j’ai eu très peur de rester enroulé dans les rideaux du Lenoir! Très peur, une peur bleue! intervient Gilles, exclamatif autant que sur ses gardes.
— C’est que vous n’aviez pas de porte de sortie, c’est que vous ne connaissez pas les rites, réplique P., de nouveau cramoisi. Je représente cette emergency exit, et il aurait fallu que je fusse témoin, comme vous prétendez l’avoir été, des ébats de ces gazelles dans la chambre du Lenoir, et que je pusse me transformer moi-même en vif-argent, en vent coulis soulevant le rideau, ou en rideau, aucune science ésotérique n’étant étrangère à la discipline jungienne! En attendant, c’est dans deux secondes, d’aborder un sujet à proprement parler hermétique, monsieur Morgenstern, vous avez bien fait d’éviter les psychotropes et de vous fier à moi! Mieux vaut devenir poudre d’or que bête à manger du foin! Issue inévitable chez les consommateurs de psychotropes, monsieur Morgenstern!
(En définitive, songe ce dernier, les reins calés au plus profond du divan, ce sont les analystes, bien que postés conventionnellement dans le dos du patient, ce à quoi, enfin, P. a consenti, qui me tournait autour comme si j’étais un temple ceint de moulins à prières avec la mine fâchée d’un bonze pour qui elles ne se réalisent pas – voilà un homme que l’Orient intéresse et à qui la position du lotus donne manifestement un lumbago –, ce sont ces analystes, dont les jungiens, qui parlent le plus, quand les neuropsychiatres, dont Wekstein qu’on a cessé d’entendre, se contentent d’aboyer trois mots indistincts et d’écrire illisiblement leurs prescriptions).
— Voyez-vous, Gilles, de l’instant où il s’agit du bonheur de ma fille, poursuit le prolixe Dr P., je me sens avec vous assez d’atomes crochus pour vous livrer des secrets dont jamais dans mes ouvrages ou au hasard de mes cours en faculté je ne dis le premier mot. Ce premier mot et ceux qui le suivent, tels Ada Rama! Gratias! Salomonis! Jésus! Perdidi! forment les maillons d’une chaîne bénéfique, dont pour votre santé je vous recommande Embata, prononcez M’Bata, qui est un mot nègre signifiant Va-t’en aux puissances funestes! Mot de haute vibration éthérique! Sinon, dites Io! qui marche très bien aussi pour restaurer confiance et sérénité – et, à la fin des opérations, récupérer cette petite culotte, objet unique et soyeux de votre fétichisme! A travers la jungle de l’occulte et dans toute leur singularité rebelle, ce type de recherche et l’usage du Io, entre autres moyens de défense, auraient été approuvés par le mage zurichois, je vous parie ma tête! Et ne pensez pas que ce soit avec le diable, ce pari! Pas d’erreur! Quelle que soit la richesse de votre imagination, sans laquelle je ne serai pas ici, vous ne sauriez envisager, je suppose, le sabot du bouc et son faciès cornu se refléter dans un lac suisse! On a pu dire tout ce qu’on veut à ce propos, c’est qu’on, c’est qu’ils sont et seront toujours tous fous!... Eu égard à la nature des travaux de mon maître, il ne s’agit pas même d’une dissidence : je suis très fort quant au retour d’affection et, comme vous l’aurez saisi, au dénouement de l’aiguillette, parmi ces pratiques qu’on dit magiques et que j’ai étudiées parallèlement à l’approche jungienne de l’inconscient, car il ne s’agit jamais que de rêver, n’est-ce pas...?» (Derrière le crâne de Gilles, l’analyste fait des bonds – sous le poids du susdit, conséquent à l’instar de celui de sa fille, le parquet craque à s’effondrer.)

«Vos songes du Lenoir sont d’une extrême richesse, dit Papadakis, ayant repris son calme et l’attitude idoine, droit comme un cierge et la nuque de la raideur qu’on connaît à celle du paranoïaque ; muni au demeurant d’un gentil sourire, Papadakis se tient au chevet du divan et, comme à un gouvernail, à ses coussins où il plante des ongles tubulaires : comblé de coussins chinois, le divan est maintenant le sofa de la rue d’Aumale, devant lequel le chat recule épouvanté.
— Mais revenons à ma fille : ma fille, étoile du saphisme, et qui se travestit parfois, a d’illustres prédécesseurs, citons Platon, Michel-Ange et Leonard de Vinci qui, me direz-vous, n’avaient nul besoin de se travestir pour séduire leurs élèves, tous du sexe fort... Celui de ma fille est de nature intermédiaire, et revoici Platon : il est vrai qu’elle est ronde, comme l’androgyne décrit par ce philosophe. Ma fille a toujours été heureuse de m’avoir près d’elle, moi qui pas une seconde n’ai songé à réprimer ses pulsions. Tenterais-je de le faire qu’elle me tuerait, c’est une incidente qu’à propos du caractère de ma fille, vous pourriez noter. Ce que vous pouvez et devez savoir, c’est que, usant ou non de différentes prothèses, elle s’entend à la sodomie, ainsi qu’aux moindres raffinements de cet Eros pénombreux sans lequel la vie est d’une fadeur à passer par la fenêtre... Il y a toutefois un point obscur à travers l’exubérance libidinale de ma petite Mona : quant à l’ondinisme, je ne sais rien, et voilà qui sera éclairci. Dans le spectre de – bannissez définitivement de votre vocabulaire le terme de déviance, monsieur Morgenstern, je ne vous le rappellerai pas deux fois – de la variance, disais-je, Mona n’exprime en fait rien d’extraordinaire, du reste elle ne varie pas du tout et n’a jamais rien varié de sa ligne, les hommes l’indiffèrent et les femmes la passionnent. Je n’ai assurément rien vu de plus orthodoxe que ma fille, du reste c’est sa religion. De l’exercice de la zoophilie – il est vrai qu’elle a un labrador, bête qui est loin d’exprimer l’ingénuité amoureuse d’un bichon, en sus de peser dix fois son poids, je n’en sais pas plus qu’à propos de l’ondinisme et de son inquiétante étrangeté, vous apprécierez plus tard, cher ami – cher ami, car nous allons devenir parents –, ce que je dois, personnellement, à l’école freudienne. Nous laisserons là, monsieur Morgenstern, le fétichisme et sa banalité accablante... Quant à vous, de la perversion qu’on nomme voyeurisme, vous êtes un exemple notoire, s’il est rare que ce penchant-là touche au suprasensoriel, entrebâille les portes de la perception – et sont-ce vos doigts ou ceux de votre double qui poussent le rideau du Lenoir?... Au fait, monsieur Morgenstern, avez-vous vous-même quelque opinion pertinente à propos d’une situation qui est quadripartite, puisqu’elle m’implique, moi?... Ou davantage, et une partie de plaisir, si nous y invitions Fleurette, contre laquelle vous pourriez troquer votre épouse et ainsi ressentir de nouvelles émotions... Vous vous rembrunissez? Ah, c’est la perspective du fouet, de sonnants talons de bottines ou d’un assaut du bichon... Rangeons le fouet, le bichon, et menottons Fleurette! C’était une parenthèse! Bref! Croyez que même un rudiment de votre propre lecture des circonstances, ab imo pectore, va nous être utile, donc essayez d’être rudimentaire et de résumer votre pensée en deux mots! Allez-y, tout en ayant conscience que j’ai FAIM ET SOIF, allez-y, et plus tôt vous y serez, plus tôt vous bénéficierez de mon diagnostic, lequel délivré, je pourrai enfin manger et boire – sous votre toit, puisque j’y suis. Cette faim et cette soif que j’ai, vous n’imaginez pas. C’est à vous.
— Il s’agit d’un conflit inexpiable entre mon Ça et mon Surmoi, soit entre mon cerveau reptilien et mon néocortex, c’est absolument comme vous voudrez, docteur, et j’ignorais vos accointances avec le thérapeute viennois, hasarde Gilles après un silence où le Dr Papadakis lance une œillade discrète à la photographie d’Ariane qui, dans sa ligne de mire, trône sur le bureau en bustier rutilant.
— Tout de l’enseignement de Freud n’est pas à jeter, pas plus que le bébé avec l’eau du bain ni rien de votre femme, apparemment, coupe le Dr P. avec une lubricité joviale, et vous m’obligeriez dès lors en m’appelant papa Papadakis, suggère ce dernier en détournant les yeux du bustier. L’inconscient est une autre scène, voici par exemple une brillante assertion de notre éminent Sigmund... A propos, avez-vous déjà goûté la Sachertorte de l’hôtel Sacher? Qu’importe, après tout. Embrassiez-vous souvent le sexe de votre épouse? Les petits anxieux et les refoulés le font rarement, ce qu’ils font, c’est les dégoûtés, et ainsi disparaissent-elles au bras d’une tribade experte... Qu’importe que vous ayez ou non rendu cet hommage au beau sexe, Mona s’en chargera, que dis-je, Mona s’en est déjà chargée mieux qu’un bichon maltais... Si vous ne me croyez pas, c’est que vous vous obstinez à rêver, cher ami, allègue P. avec un rictus satanique. Mona, ah Mona. Mona m’en a davantage appris sur le sexe et ses contacts avec nos fibres les plus intimes qu’aucun gourou autrichien ni suisse ni aucun de mes patients, même si, comme nous l’avons remarqué vous et moi, je suis plus loquace qu’eux. La loghorrée est un trouble dont je suis victime, et c’est moi qui devrais de l’argent auxdits patients, si le monde était équitable, or vous savez qu’il ne l’est pas. Ah, je vois ici une chose, ce bar impeccablement tenu, à l’encontre du reste de l’appartement que, seul aujourd’hui, vous occupez et qui s’approche du taudis, trahissant l’abandon de votre anima – entendez, de votre conjointe. Ce bar témoigne, outre d’un éclectisme somptueux, du même goût délicat et typiquement féminin qui se porte aux embrasses, n’hésitez pas à m’appeler papa Papadakis – et m’inviterez-vous à prendre un peu de cette prunelle de Bourgogne?...
Le Dr P. se sert un verre de prunelle qu’il sirote avec le respect dû à – une liqueur distillée par les esprits des forêts! Sigmund et Carl Gustav ne buvaient que ça, matin, midi et soir! s’exclame-t-il, s’effondrant entre deux coussins chinois sur le sofa de la rue d’Aumale.
— Merveille sans égale! reprend le Dr P. à propos de la prunelle. J’adore l’addiction! Tout n’est qu’addiction, depuis votre café du matin qui, choisi par votre épouse, doit provenir de la meilleure brûlerie de Paris! En Grèce, le café, notez-le bien, est d’une excellence historique et incontestable! Quand, pour des raisons hédonistes, on a longtemps veillé, indispensable pour se lever le matin! Notez encore que de se lever le matin est une idiotie, et il y a une addiction que j’adore autant que la prunelle, c’est de ne pas me lever du tout! Or je dois me lever, puisqu’il me faut rester debout derrière ce divan où s’allongent, eux, ces patients qu’en conséquence je déteste d’emblée, et plus je les vois profiter confortablement de ce divan, plus mes honoraires montent! et en cash! Tout n’étant qu’addiction, je commence à en ressentir une, très vive, pour votre sofa, pour la prunelle, ça fait longtemps – ce sofa qui, quand j’y pense, a la chance de ne recevoir que le poids amical des fesses de vos hôtes et celui, céleste, de la croupe de cette... adorable! absolument adorable! ne me dites pas que la photo date de quinze ans, ou dites-le-moi! J’ai, en effet, découvert la photo de VOTRE femme sur VOTRE bureau lorsque j’étais derrière VOTRE sofa, dont a fui VOTRE chat, horrible bête quel qu’en soit le pedigree – et on se demande ce qui ne vous appartient pas en ce monde et en quoi je puis vous aider, moi pauvre hère et vous, roi Pausole! Ach! aurait dit mon maître, et comme je l’entends, ce Ach, provenir du canton zurichois!... Bref, époux de cette gracieuse, et ne la satisfaisant pas, vous devenez un cas! Le cas Morgenstern, pire que le cas de l’homme aux loups! Soit celui d’une névrose infantile non résolue, soit le triomphe du Dr Sigmund et parmi les miens, la défaite des fondamentalistes! A moi donc de m’illustrer ici, où j’ignorais tomber à pic et au fond de quel à-pic! Par tous les saints et l’icône orthodoxe préférée de ma mère orthodoxe née Teodora Tsoumboulis, comment cela se peut-il? Comment? Nous parlons ici de puissance et d’impuissance : or, à entendre votre silence et les appels téléphoniques de ma fille à qui votre femme confie tout, à savoir autant que m’en confie ma fille (voyez combien profuse est l’information qui circule et déduisez-en que, lorsqu’elles ne baisent pas, elles sont au téléphone), l’analyse ne serait pour vous que cautère sur jambe de bois, donc d’analyse, pas question, mais d’un taux satisfaisant d’hormones mâles et d’une hygiène de vie que vous ne respectez manifestement en rien, Gilles Morgenstern! D’avoir pareil trésor dans son lit, étant, de l’avis général, l’addiction suprême, de le garder implique une discipline rigoureuse, voire sacrificielle : en premier lieu, une diététique de fer, du sport pour se maintenir – considérez le relâchement de votre sangle abdominale et quel alibi spécieux est votre métier de critique gastronomique!... ce qui me renvoie à la faim dont je souffre, dont nul ne se soucie à l’heure qu’il est – je poursuis donc, cette faim me tenaillant, et seriez-vous sadique, Morgenstern, bien que vous n’ayez pas la figure du Marquis – je poursuis à votre propos qui est celui d’une généreuse pose d’implants capillaires, d’un lifting discret et drastique, intervention après laquelle vous recouvrerez votre menton initial, qui n’était pas triple... Laissons cela : avant tout, votre propos doit être la recherche assidue de chaque facteur propre à PROVOQUER DU PLAISIR chez votre partenaire, de même que l’évitement scrupuleux de toute culpabilisation, si – c’est de votre faute, c’est un manquement sans excuse (Oui, docteur Mammon, grogne Gilles), elle ne connaît plus l’orgasme... (Gilles : Je suis au courant, par Wekstein, déjà, et par ce que je vois de mes yeux, accessoirement.)
— C’est (le front plissé, P. tarit la bouteille de prunelle) que vous avez le doigt gourd, le sexe court, l’âme rustre, que vous multipliez les maladresses, que vous ouvrez votre femme comme on ouvre une huître dont en plus vous ne savourez rien, et Dieu sait que les marennes sont délicieuses, que votre femme aussi, et qu’il y a dans le moment où vous perpétrez l’acte autant de coquilles que dans un texte publié par un gougnafier, dont vous êtes un spécimen, du reste, et quand on pense que c’est audit gougnafier que, de caresser Aphrodite, soit d’honorer Mme Morgenstern, est un devoir légal, quand on y pense, c’est fou qu’on devient, complètement fou! Ici, de devenir fou en appelle à une logique de base! Ma fille n’est pas folle, croyez-moi, et nous en reparlerons!... A propos d’huîtres, si vous en commandiez chez un traiteur du coin, nous pourrions souper... Comment? ah, vous me faites remarquer qu’août n’est pas un mois en r, donc pas d’huîtres. Taisons pour l’instant les exigences de mon estomac, et reparlons de ce monde du sexe qui, comme l’écrivait Artaud, est noir sans qu’on puisse savoir pourquoi... Ce monde du sexe qui, abordé par des gens comme vous, est quelque chose d’aussi stimulant que la perspective d’une pénéplaine ou d’un paysage néerlandais avec un polder de-ci de-là... Au fait, j’ai rapporté d’Amsterdam un shit qui, au dire de ma fille, est exceptionnel... Back to nos moutons et à cette panurgerie d’hommes tout juste sortis de l’âge de pierre – et des millions d’années avant que ces butors mettent leur compagne sur le dos pour en voir la face au moment de l’acte... A votre endroit, où nous en revenons à l’âge de pierre, je ne puis que vous suggérer de mieux vous porter afin de séduire votre femme et que, séduite, elle aille au paradis, et c’est moi qui me fais l’avocat du diable!... D’une éjaculation anticipant le coït et empesant les draps ou le ventre forcément inerte de la gentille, entre autres âneries, c’est ce dont moi j’augure, rien qu’à vous observer et sans user une seconde de la fécondité de cet imaginaire dont chez vous, je me prends à présent à douter qu’il y ait trace, susurre le Dr P.... Votre femme est bisexuelle, ma fille invertie, et que penser de votre homosexualité latente? Là est le nœud gordien, et au diable (c’est-à-dire chez cet homme, et voici prononcé, avec quelle insistance, le nom de l’Adversaire, commente Gilles, perplexe) vos états hypnoïdes, frayeurs nocturnes, lapsus, jeux de mots et actes manqués parmi lesquels celui que je viens d’évoquer et qui est strictement d’ordre libidinal...»
Le Dr P., palpitant du naseau : «N’auriez-vous pas, à défaut d’huîtres, des noix de cajou ou quelque chose de solide pour éteindre ce feu qu’est, sur un estomac vide, la prunelle de Bourgogne? N’auriez-vous pas, même en boîte, cette choucroute que j’adore, accompagnée d’un petit blanc bien frais?... C’est qu’il n’y a ici aucune choucroute et rien que le palimpseste d’une petite culotte, et j’aurais mieux fait de dîner à la maison, soupire P., se rencognant dans les coussins.
— En fait d’actes manqués (P. sort une tabatière de la poche de son gilet), je n’en vois guère qu’un seul à l’importance considérable, dû à une permissivité aberrée, qui est de laisser filer votre Ariane avec ma Mona, disons que là, si vous avez manqué de quelque chose, c’est de la perspicacité la plus sommaire, pardonnez-moi d’enfoncer le clou, l’acte en question étant aussi manqué que fatal, dit P., lorgnant les quelques croquettes de reste dans l’écuelle du chat.
«Ah, ce cas d’inhibition–qui sera définitivement stigmatisé comme le cas Morgenstern ou le cas de l’homme à la femme blonde –, ce cas que vous représentez! rugit P., après que Gilles, comblant perfidement une soucoupe de croquettes et la présentant à son hôte, a pourvu avec succès au creux apéritif qu’exprimait celui-ci.
— C’est inouï! dit le Dr P., sous la dent duquel craquelle le puzzle protéiné dont la marque W. vante les mérites quant à l’équilibre nutritionnel du chaton – et le Dr P., qui n’est pas un chaton, va me cracher une canine sur le tapis dans un des instants les plus jubilatoires de ma vie, in petto de Gilles qui, au risque de mécontenter le Bleu de Russie, s’apprête à poser sur la table du salon, auprès de la prunelle, la boîte de croquettes W. et n’en tend pas moins l’oreille. — C’est inouï! répète le Dr P., la joue gonflée de croquants cruciformes, et ni Mélanie Klein ni Karl Abraham ni Lacan ni aucun des morveux faisant suite n’y auraient rien pigé! Inouï! Ah, vous en avez parlé à votre mère, qui a pigé? Encore plus inouï! Et cette inappétence sexuelle est-elle liée à des angoisses qui vous réveillent la nuit, en un sursaut concomitant à des sueurs glacées? Oui, forcément, et à celle que Mona vous subtilise votre bien-aimée avec la promptitude des Romains enlevant les Sabines – et l’homéopathie et l’analyse sont bel et bien hors du sujet, et combien de cœurs brisés Mona a-t-elle laissés à Athènes, tendres cœurs de jeunes filles dont certaines sont à présent mes patientes... Et les ascenseurs, Gilles, avez-vous peur des ascenseurs, et de leur mâchoire de fer quand elle se referme sur vous? Et de la foule, le jour du nouvel an chinois dans le 13e arrondissement de cette capitale désuète et cosmopolite où Mona prémédite d’acheter un six pièces?... Et de ce que quelque chose, dans votre assiette, soit empoisonné, crainte qui ne suffit pas à vous guérir de votre boulimie? L’occasion ne se présentera pas deux fois de tout dire à papa Papadakis, mon gars, quand vous êtes plutôt un Papageno à la bouche loquetée, à propos, si Bach vous laisse insensible, peut-être préférez-vous Mozart?... Cet Amadeus dont nos deux belles doivent écouter ensemble les concertos, dans cette ville sous les arbres... C’est que Mona n’a pas manqué d’apporter sa chaîne hi-fi pour parfaire l’agrément de ce séjour à Fontainebleau, endroit romantique s’il en est! J’en reviens à vous, alors que j’en étais à Mozart, avouez le caractère méritant de ma démarche, car Mozart et ces deux-là sur un lit, bouffre diantre!... L’ensemble de vos fonctions organiques étant perturbé, monsieur Morgenstern, on n’en finirait ni avec vos rêves de cloaques ni avec ceux où des vampires expriment un urgent désir de succion... Comment, vous ne m’avez rien dit de la sorte? Il ferait beau voir que ce soit vous qui me fassiez passer pour fou! Reprenez-vous, monsieur Morgenstern, pour l’amour du ciel, reprenez-vous! On n’en finirait avec rien de ce qui vous occupe, s’il est vrai, j’en conviens, dit P. d’une voix radoucie, que vous me parliez plutôt des flèches décochées du sommet d’un miroir par une grappe d’angelots, ce qui au niveau fantasmatique est du pareil au même – on n’en finirait pas, vous dis-je! Je finis en revanche ces trucs sucrés-salés, comme vous le constatez, j’avais faim, sensation qui est preuve de bonne santé et que vous n’éprouvez plus, on parie? Or nous n’en sommes pas aux preuves, mais aux hypothèses! Basées sur une certitude : au lit, Mona est une amante hors pair. C’est moi qui lui ai appris, comment diriez-vous ça... les patins, à rouler des patins! Désinhibition spécialisée du patin! Les dents dans la pomme! (Gilles tressaille.) Mona, as de la stimulation bucco-linguale! (Gilles, après Sartre, envie les femmes qui, naguère, s’évanouissaient dans une fuite commode.) C’est ce dont je parlais à propos de ses jeunes années – et de la lame XI du tarot de Crowley! De ce qu’elle se masturbait déjà dans le ventre de sa mère, Mona a des souvenirs d’une rare précision! L’érotomanie est plus fréquente chez les homosexuels que chez les autres! Si, comme nous le disions tout à l’heure, votre femme est bisexuelle, ceci implique toutes sortes d’amours erratiques, quand Mona est exclusivement homosexuelle, d'où une jalousie et une monomanie incurables – la cristallisation stendhalienne fond en gouttelettes au premier soleil, quand celle d’une Mona aiguise ses poinçons de givre sous la canicule, laquelle nous subissons cet été, au reste, je crois que je viens de vous dire quelque chose d’amusant... De ces éléments, laissez-moi tirer quelques conséquences tréfilées comme le blanc de la fourbe lune qu’on voit passer entre deux arbres : la première est que vous êtes un sodomite en puissance : elle vous quitte, et rendez-vous au premier bar gay de Pigalle, dommage que vous ne soyez pas cet éphèbe à la plastique irréprochable qui participerait alors à un spectacle de «chippendale» en y remportant un succès gratifiant!... Le «chippendale», voilà qui vous éviterait de réaliser le vœu intime de votre Ça, soit de sombrer sans recours dans cette inhibition de l’action génératrice de cancer, d’autant que vous êtes hypocondriaque et que vous reproduiriez les symptômes de cette maladie sans en oublier un seul et sans l’avoir du tout! Donc, trente kilos de moins et «chippendale» ou toute autre forme de coming-out! Chez tous les hypocondriaques, voyez-vous, l’homosexualité existe, bien qu’inavouée! (Une minute de silence, respectée par Gilles.) Quant aux pratiques adéquates, à les définir et à les appliquer, je salue ma fille! Je lui porte un toast, sauf que j’ai fini la prunelle et qu’on ne me propose rien! Mais si vous voulez une ligne de coke, j’ai ça sur moi! Surmoi!... Dans ma tabatière j’ai du... Papa Papadakis en a, qui détient la panacée de Sigmund! Soyez aimable de me prêter un magazine pour ce rail, sinon je vais priser la chose, et de cette prise, je ne garantis pas les effets, qui parfois ont un caractère agressif. Sigmund prisait aussi, dont on sait qu’il a tué beaucoup de ses patients. Non? Soit, et tant pis si vous ne m’accompagnez pas... (Le Dr P. ouvre sa tabatière, puis, la prenant sur un doigt, de l’autre comprimant sa narine, inhale une dose de cocaïne.) Non? Toujours cette censure, jeune ami, et ce refoulement dont vous êtes l’image et qui mérite au moins une statue ou une place, ou une statue au milieu de la place! De préférence! Votre organisation psychique est un désastre, mon tout petit! Ce désastre, face à une belle fille comme ça! Du temps de Charcot et à La Salpêtrière, on vous aurait soumis à l’eau, à l’électricité, puis aux deux en même temps!... Mais que l’ensemble de nos digressions ne nous empêche pas de résoudre votre cas, qui est fort malheureux! Aucune analyse ne vaut un bon désenvoûtement! Passons à l’acte! Recourons illico presto à cette bonne vieille magie noire qui fait si merveilleux ménage avec l’étude des songes!... (le Dr P. allume un cône d’encens qui brûle en jetant des étincelles.) Parmi l’école helvète, reprend-il d’une voix changée, nous sommes tous un peu sorciers, nous pouvons combattre la peur et les sorts qui écartent l’amour, nous connaissons les formules propres à désenvoûter, donc nous désenvoûtons – puis, solve et coagula, une idée me vient et revient et je ne puis m’en détacher, c’est à propos de cette alchimie que j’évoquais – donc nous alchimisons, et ainsi, comme prévu, seras-tu transformé en pur esprit, Gilles Morgenstern, siffle le Dr Papadakis en considérant son patient d’un air affable. Ainsi, plus de problèmes libidinaux, plus de phases toniques et épuisantes du sommeil paradoxal d’un jaloux, et plus de jalousie! Plus rien! A moins que je ne prenne le parti de te métamorphoser en statue de sel, ce qui s’est vu, dans le Grand Œuvre! D’une manière ou d’une autre, tu ressortiras du creuset des Transmutations sous une forme subtile où ton ego aura disparu, tout comme tes éprouvantes bandaisons matinales et l’ensemble des souffrances qu’on peut infliger à Adam, héros initial de l’humanité! Sorti de l’athanor dont la forme est celle de l’œuf, regarde! (P. brandit un œuf dur.) ET PLACE A MA FILLE au creux du lit de cette mignonne dont je viens ici même de voir la photo après en avoir détaillé les formes reflétées dans un de ces miroirs d’encre dont déjà usait mon maître, à Zurich – c’est que notre jeune Morgenstern se croyait seul à accéder au monde surnaturel, au nom de quelle vanité! Le jeune Morgenstern sortira de l’œuf primordial pour ne plus jamais embêter ces deux charmantes, que je vois déjà se promenant, bras dessus bras dessous, autour de la tholos de Delphes et...»
Papadakis hausse l’œuf dur jusqu’au ciel, Gilles se réveille seul sur son propre sofa dans un hurlement qui couvre presque la sonnerie du téléphone. Lové sur son estomac aussi insensiblement qu’une plume, le chat disparaît dans l’instant, Gilles se relève du sofa qui est une fondrière de velours et répond.

«Tu me manques, disait-elle entre deux sanglots, et je n’en peux plus – Mona... Il est tard dans la nuit et je rentre demain.»
...

 

manga

 

Esseulé à Paris dans une canicule estivale, le narrateur, Gilles Morgenstern, revoit ses années de mariage. Ariane, sa femme, est partie non avec un amant, mais avec une amante. L’époux délaissé, éminent critique gastronomique, imagine, rêve, présage de ce qui se passe dans la suite luxueuse de l’Hôtel Lenoir, à Fontainebleau, entre Mona et la fugitive. Il sera bien en dessous de la réalité.
Intervient ici l’histoire de la petite culotte : manquante, la pièce incriminée, toute de soie blanche, est aussi mythique aux yeux de Gilles que la pantoufle de Cendrillon. Offerte par le dernier de ses prétendants avant qu’elle ne se marie, Ariane a toujours refusé de la porter devant lui. Qu’elle l’ait prélevée à ses tiroirs tend à prouver la nature de ses rapports avec Mona. Par 35° à l’ombre, Gilles Morgenstern va de rêves bleus en cauchemars embrasés où sa femme disparaît en compagnie de sa maîtresse.


Muriel CERF
La petite culotte....... © 2005, Maren Sell Editeurs
couverture: d.r.




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