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Muriel Cerf
sa grand-mère ou le dernier regard

muriel cerf
© stp 1996


Avec "Julia M, ou le premier regard" (Robert Laffont) la confrérie des adorateurs de Muriel Cerf va forcément s'élargir. C'est qu'elle arrive à un point, avec ce quinzième roman, où elle a canalisé les flots de son exubérance verbale et communique de l'émotion sans lasser. "Julia M ou le premier regard" est un livre-charnière, puisqu'il raconte la cassure en deux que provoque dans la vie privée de Muriel Cerf (mais les écrivains ont-ils une vie privée?) la mort de celle qui l'a élevée, aimée, soutenue, Mamita, sa grand-mère, une vieille dame délicieuse dont la présence magique entoure sa petite-fille d'un halo de tendresse. En même temps, cette période cruciale est prise dans un cercle où tous les bonheurs et les malheurs sont inscrits, comme la petite Natalia, Cupidon du "Songe d'une nuit d'été" captif d'une énorme perle transparente, comme Kurt, le peintre maudit, comme Satchel, le brillant comédien prisonnier de sa femme-base.


Foin de luxe et de volupté! Muriel Cerf vit actuellement dans un minuscule appartement du XVIIe arrondissement, à Paris. Cette femme-fée, malgré le terrible accident qui lui a rompu les jambes et quelques autres os, est plus jolie que jamais, avec un buste étroit exactement proportionné à son visage de Madone et des bijoux comme des talismans sur sa poitrine. Elle a le don de transfigurer le quotidien banal avec quelques bougies, des senteurs et des tapis d'Orient. Etrangère aux mondanités, elle aime se balader dans son quartier mais son rêve serait de vivre sur la plus belle île du monde, Bali, elle qui en égrené pas mal, d'îles, dans sa course légère aux antipodes.


L'histoire commence dans un grand appartement aux murs couverts de salpêtre, rue Lafayette, où une petite fille pas très heureuse lit et recrache frénétiquement les ablettes de mots qu'elle vient d'ingurgiter. Son père qui aurait dû être écrivain ou compositeur, n'est pas plus heureux : il se donne la mort en 1977. Sa mère l'a enfantée sans éveil du sentiment maternel. C'est sa grand-mère qui, à l'âge de 50 ans, la recueille et l'élève. La merveilleuse Mamita de "Julia M.", bonne vivante, laxiste, attentive.


Muriel Cerf suit pendant trois ans les cours de l'Ecole du Louvre, "Je voulais faire "muséo"... Mon idée initiale n'était pas du tout d'écrire, explique-t-elle. J'avais écrit toute mon enfance, je croyais que je n'entendrais plus jamais parler de ce truc qui fait mal au dos! Je voulais être antiquaire et me spécialiser dans l'Extrême-Orient. ça n'avait rien à voir avec les hippies, avec la route... Après mes études, je suis allée voir sur place : avec l'esprit curieux de l'honnête homme. Après deux ans de séjour là-bas, j'avais beaucoup changé. Quand je suis rentrée en France, j'aurais pu gagner du fric : une fille qui parle parfaitement chinois et anglais, qui adore les voyages, qui est dingue des objets et qui a un sens poétique pour les approcher, il n'y en a pas beaucoup. Comme j'hésitais, j'ai glandé pendant un an ou plutôt, j'ai voulu faire un peu de tout. J'ai continué mon chinois, j'ai suivi des cours de dessin et de peinture, j'ai fait une école de pub et j'ai trouvé le moyen d'aller faire toc-toc à la porte du "Figaro" où je suis restée quand même trois mois comme stagiaire! J'ai réussi à force de reptations compliquées à me retrouver au dernier étage, c'est-à-dire au service artistique, ce qui me permettait d'aller au théâtre ou à l'opéra pratiquement chaque soir. Je ne vous dis pas les yeux cernés que j'avais!"

Privilège extraordinaire, la stagiaire signe de ses initiales mais, patatras, le virus du voyage la reprend et l'expédie à New York et à la Jamaïque. A son retour, l'accueil de la rédaction est plutôt frais. "Alors, se souvient-elle, j'ai pris ma machine à écrire et les quelques malheureuses notes que j'avais sur l'Inde... J'ai sué sang et eau pendant un an sur "l'Antivoyage". ça a été terriblement difficile. Quand j'ai fini mon truc, j'ai fait le tour des éditeurs, comme dans "37.2 le matin". Mon premier lecteur chez Gallimard a été, par la joie du ciel, Roger Caillois, qui m'a donné une note fabuleuse et ça a démarré tout de suite!"

Muriel Cerf enchaîne titre sur titre, se voit obligée, pour assurer ses fins de mois, de scinder en plusieurs petits ouvrages certaines histoires qui se tenaient, bref, elle brouille son image. Elle réapparaît chez Laffont avec ce gros roman abouti, "Julia M. ou le premier regard", qui rassure ses lecteurs : "Ouf! On croyait que vous aviez fait un enfant..." Elle en tient d'autres sous le coude, "dans le ventre", dit-elle.


La Cerf a déjà crevé deux Underwood sous elle. Le traitement de texte, n'en parlons pas! "Avec ce scintillement sur l'écran, tout vous paraît bon", dit-elle. Non, elle écrit à la main, à s'en coincer le dos! Son grand bureau qui la fait paraître encore plus femme-fée, est couvert de piles de feuilles manuscrites, raturées, enrichies de "paperolles", rangées et explosives, qu'elle battra comme un jeu de tarots pour construire son prochain roman...

Rarement autant qu'avec le présent livre, "Julia M.", on aura eu l'impression que Muriel Cerf romance à peine des événement autobiographiques. Natalia? "Je l'ai un peu poussée dans un côté BD, ado, avec tous ses tics, ses chewing-gums, raconte Muriel Cerf. Il m'est arrivé effectivement de tomber, à ma grande surprise, amoureuse de l'amour que me portait cette petite gamine qui, elle, rêvait des femmes. Il est vrai qu'elle avait eu, comme je le raconte, des expériences catastrophiques avec les hommes. Et puis, quand ma grand-mère est morte, que je me suis retrouvée fracturée de partout, elle est arrivée avec ses grands yeux et tellement d'amour, tellement de soins! C'était un mec, c'était une soeur, c'était tout! Au bout d'un temps, quand on vous offre tout, aussi jolie, aussi fraîche et naturellement dans le don de cet amour, on se dit : pourquoi on n'irait pas dans la chambre? C'était une gamine, moi, j'ai pas l'air bien vieille, on se promenait dans la rue comme des bébés, on était contente de tout. ca a été un an de complet bonheur. Elle ne retrouvera jamais ça, ni moi. Je ne suis pas persuadée qu'on puisse vivre une telle osmose avec un homme."


Le deuxième personnage de ce quatuor s'appelle Kurt, un peintre maudit, inspecteur à la Comédie-Française, que ces jeunes filles ensorcellent et assoiffent avec une inconsciente cruauté, "Kurt est un merveilleux ami, s'exclame Muriel Cerf. Quand il a lu le bouquin, c'est une des plus belles choses humaines qui s'est passée - parce que s'il n'y en a pas autour du livre, c'est pas intéressant : il a eu les larmes aux yeux d'avoir été si bien compris de l'intérieur."


Dans le roman, il se suicide. Comment peut-on jouer ainsi avec les virtualités du drame? Réponse de la jeune sorcière : "De toutes façons, il avait promis à tout le monde de se suicider le 22 mars, date anniversaire de la mort de Verrochio. Je lui ai dit : vu le pouvoir magique des romans, vous l'avez déjà fait. Vous êtes en sursis et, maintenant, restez-y!"


Satchel, enfin, est inspiré d'un comédien que Muriel Cerf a connu pendant un an. "Il avait à ses côtés, explique l'écrivain, la femme-terre dont a besoin tout artiste pour s'équilibrer. Pendant quinze jours dans cette année, mes relations avec lui, ça a été cette torture que je décris dans le livre, parce qu'il avait peur, qu'il ne voulait plus rien assumer de nos relations, qui n'étaient pas aussi stérilisantes que celles décrites dans le roman, mais l'intérêt était de montrer la fuite dès qu'apparaît le danger, c'est-à-dire l'amour. Je me suis servie de cette expérience pour donner le "la" de tempéraments d'hommes, généralement des comédiens, qui sont tellement narcissiques, mon Dieu, que s'ils doivent souffrir de quelque chose, c'est de tout sauf de ça, l'amour, qui peut les empêcher de se consacrer à leur truc."


La narratrice, enfin. On sait qu'elle est écrivain, qu'elle a les cheveux noirs et qu'elle est séduisante, le sait et l'écrit. Narcissique, elle aussi? "Tout écrivain est narcissique, se rebiffe Muriel Cerf. Les femmes, on leur reproche toujours d'être des femmes et de ressembler, en plus, à des femmes. Henry Miller était cent fois plus narcissique que moi! Il ne parlait que de lui. Le monde selon Garp, c'est le monde de Garp! L'écrivain a son monde et il vous le montre. Ce que je veux, moi, c'est donner aux gens à voir quelque chose que, quelquefois, ils ne voient pas sous une lumière intéressante parce qu'ils n'ont pas un oeil de créateur. Etre utile, c'est important quand on écrit. Les romans à la française, falots, pâles, secs, maigres en général, ça ne m'apporte rien. Ils ne me font pas remettre ma vie en cause, ils n'apprennent rien sur le comportement de ma mère, de mon compagnon, de qui que ce soit... J'ai l'impression de perdre mon temps."


De "Julia M. ou le premier regard", on gardera en mémoire les très belles pages consacrées à la grand-mère. A la mort de la grand-mère. Toute la tendresse du monde parcourt ces lignes-là. Sans littérature.

Marie-Cécile Royen
Vif l'Express - Bruxelles, 10 janvier 1992
" Julia M. ou le premier regard" ( Robert Laffont)



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