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- La belle affaire qu'une voix, soupirait-elle, que le soprano limpide
de la Rionda, que son vibrato large et lent dans l'aigu, ici c'est
encore à Callas qu'on me compare, à mon avantage et
abusivement, mon chéri, et qu'est-ce que je lis encore sous
la plume des critiques, non que ça me déplaise, mon
chéri, je les apprends par coeur ces articles, ah oui, l'éloge
de mes graves surprenants et noirs, oui, noirs, tout ça est
bluffant, mais enfin, une voix, ça tient à un souffle.
A un souffle qui maintient l'équilibre en dessous et en dessus
de la glotte, je ne vais pas ouvrir la bouche comme chez le dentiste
pour tenter de te montrer ça, et à un mouvement de
bascule du larynx (il n'avait pas très envie d'examiner son
larynx, il la trouvait d'une franchise déprimante) qui n'est
pas donné à tout le monde, en vérité,
le noble art, c'est crevant, crevant, martelait la femme à la
voix sublime comme si elle parlait de gymnastique suédoise;
et il faut se coucher avec les poules, à la moindre allergie
on va à la catastrophe, ça m'est arrivé pour Ariane à Naxos,
ils n'avaient pas balayé la scène, je ne supporte pas
la poussière, Ariane sur la plage de son abandon s'est mise à éternuer,
de plus elle avait ses règles et une prima donna ne devrait
jamais avoir de règles, interdit, la poussière et mes
règles, voilà à quoi j'ai dû mon seul échec à Rome...
Je chanterai Lucia après Turandot, et il se peut bien que
j'arrête, ce n'est pas une vie, cette salle qui vous guette,
ne vous pardonne rien, il faut des nerfs d'acier, je les ai, mais
jusqu'à quand, je n'ai pas l'intention de mourir en scène
comme ça s'est vu, j'adore les enfants et les fêtes
de famille, nous sommes toutes comme ça, nous autres Portoricaines..." Elle
secouait sa crinière frisée, elle était cabocharde,
désarmante, prosaïque, tigresse d'une absolue innocence. ...
