Button 0Button 1Button 2Button 3Button 4Button 5Button 6Button 7Button 8Button 9Button 10Button 11Button 12Button 13Button 14Button 15Button 16
Le Verrou

Le Nouveau Quotidien http://www.edicom.ch/lnq/

Le Verrou





Le Verrou





Un chef d'oeuvre flamboyant
signé Muriel Cerf


Symphonie, fresque, univers
d'amour immodéré et d'écriture,
Le Verrou se présente
comme la confession
d'une passion criminelle et idolâtre
inspirée par une adolescente
qui avait toujours faim.


Que le lecteur se montre indulgent pour le chroniqueur qui, émergeant des six cents pages haletantes de ce roman, prétend résumer ce qui ne l'est pas et inciter autrui à goûter à son tour à ce sublime objet en lui soufflant à l'oreille, pour exemple, deux ou trois notes dans le ton - alors que c'est une symphonie, une fresque, un univers d'amour immodéré et d'écriture qui l'attend.

Un vieil homme de 70 ans, Massimo Cuori, chef de la très riche et très catholique famille Cuori propriétaire à Milan des Laboratoires pharmaceutiques du même nom, entreprend de faire le récit de la passion idolâtre et sourdement criminelle qu'il éprouva autrefois pour une jeune Autrichienne de 16 ans, Nora Neumann. «Avec sa mémoire énorme, transparente, médusée» le vieillard revoit chaque détail de ce qui fut la seule transgression de sa vie d'homme, qui commença par une apparition fulgurante et se réalisa au cours d'un seul été où il tint captive - on verra de quelle fanatique manière - sa jeune maîtresse. Lorsqu'il écrit sa confession, ses deux petites-filles vivent sous ses yeux leur passage à une adolescence choyée, imposant à sa mémoire bouleversée l'image de Nora dont la tragique vérité vient soudain éblouir les derniers jours du narrateur et le combler d'une compassion infinie

L'histoire commence la nuit du premier de l'an 1975 dans la salle de bal d'un palace de Munich où Massimo, qui a 23 ans, s'ennuie comme le prince juste avant qu'il rencontre la princesse. Cette nuit prémonitoire voit s'avancer dans la lumière surnaturelle d'un conte, une fillette de 12 ans - la future Nora -, venue avec sa mère chaparder les restes du buffet. Une fillette qui offre à Massimo un sourire de sa bouche peinte et la vision de ses jambes et de son sexe sous sa jupe prestement levée. Ce geste incongru, évoquant aussi bien celui d'une folle que celui d’une prostituée, la gravité mystérieuse du soutire, la maigreur des jambes «douloureusement sublimes», rien n'a échappé à Massimo comme si, dit-il, «mes yeux avaient déjà aspiré et bu chaque détail d'une grâce qui blesse comme le gel, comme le silex». Quatre ans plus tard, en 1979, à Vienne, il la retrouve en tablier blanc de serveuse dans un salon de l’Hôtel Sacher. «Et campée devant moi, les mains derrière le dos, elle souriait - et le Sacher autour de nous n'était plus que ruines fumantes parmi lesquelles je la priai de s'asseoir un instant et de prendre quelque chose pour m'accompagner (...)»

En un rapide, inéluctable enchaînement, ou plutôt enchantement, Massimo emporte sur les ailes du désir et par avion de première classe l'adorable nymphe ainsi que sa mère, Magda Neumann, cuisinière experte ès spécialités austro-hongroises, soûlarde, et dont on est assez vite informé qu'elle prostitue sa fille, les emporte, donc, vers la demeure familiale paradis de l'argent et de la respectabilité. A l'évidence, quelque pied fourchu ou souffle malin a dû jouer un sale tour à l'héritier Cuori en le faisant tomber dans les filets douteux d'une Autrichienne, mineure, maigre, sans un sou, non baptisée, «un cas social si ça se trouve». Qu'importe, les fiançailles sont célébrées (après un baptême éclair de la petite), sur fond de mets fabuleux que concoctent, en ennemies symboliques, les deux cuisinières, l'officielle Italienne Lietta et l'indésirable Autrichienne Magda. Telles sont les apparences. Mais l'essentiel se tient hors du temps, des lois et des convenances, derrière la porte fermée au verrou d'une mansarde sous les combles de la fastueuse demeure. Là, célébrant le corps de Nora dans les variations les plus lumineuses et les plus interdites, «avec une rapacité obsessionnelle», Massimo se livre au chantage impitoyable de celui qu'aveugle la peur du manque, profitant de ce qu'elle, la pauvrette Nora, souffre aussi de la peur du manque, du manque d'argent: «Monnayant chaque faveur, chaque caresse, elle poussait les enchères pour grimper dans la soupente, les poussait jusqu'à l'impossible et que je ne puisse qu'ignoblement lui opposer la kyrielle de mes menaces, bien aussi ignobles que mon ravissement à exaucer tous ses désirs (...)». «Le Verrou», c'est aussi ce tableau de Fragonard dont un faux orne la soupente, avec «la main de l'homme qui clôt la porte et vers laquelle s'envole, équivoque, celle de la femme (...) où le plaisir a déjà des airs accablés»; celui encore «qui se ferme et s'est fermé une fois pour toutes dans mon existence sur le monde enchanté où Hänsel et Gretel mangent une maison de massepain (...)», écrit le vieux Massimo. Fellation, ondinisme («vouloir la boire et la manger, m'attabler à ce petit corps fluet...»), baisers volés, cadeaux, paiements princiers, train de vie viscontien, et la chaleur de l'été, tout cela, qui est aveuglant quand il advient et donc incompréhensible, fait que l'histoire finit mal et de façon abrupte.

Mais le personnage de Nora semble sortir du labyrinthe de la mémoire de Massimo telle une étoile, toujours plus brillante, toujours plus proche et déjà inoubliable, unique, bien qu'il existe autour de nous, dans chaque rue de chaque ville. une multitude de Nora voletant d'un manque à l'autre, - d'argent, de drogue, de compassion, de chaleur humaine.

Comme si l'on tournait les pages ultrafines d'un livre de contes au milieu d'une tempête de vent risquant à chaque seconde de les emporter le diable seul sait où, on est pris d'angoisse et de plaisir, d'émerveillement et de jalousie en découvrant la vraie Nora. Ou la Nora sublimée de Massimo? Ou une étincelle divine, puisque «dans la beauté Dieu est partout»?

Pas une page de ce roman qui ne soit inspirée, et magnifiquement «écrite», avec ses phrases en cascade, son lyrisme, son érudition au service gracieux du génie romanesque, et ces détails essentiels qui rajeunissent la langue. D'ailleurs, à propos d'âge: vous remarquerez que Massimo, qui avouait 27 ans en 1979 et 70 ans au moment de sa confession, doit avoir écrit celle-ci... en l'an 2022.

Rose-Marie Pagnard

Le Verrou

LE VERROU
de Muriel Cerf,
627 pages, Actes Sud - Roman

Le Nouveau Quotidien
- 13 février 1997 -
Lausanne, Suisse.





Si vous souhaitez commander en ligne
ce livre ou plusieurs livres de Muriel Cerf
paiement sécurisé

fnac
alapage
amazon
 

Muriel Cerf Personnal Website
:: Muriel Cerf : Knock on wood ::
:: Actualité :: Betrand Cantat ou les chant des automates
:: Dernières parutions ::
:: Bibliographie :: En poche :: Turkish Delight :: Portrait : Julia M. ::
:: Manuscrits :: La Jalousie (nouvelle érotique) :: Cinéma ::
:: Ma vie de chat :: A propos de peinture :: Sponsors ::
:: Liens :: Entre les Fleuves :: Archives TV (ze must ;-) ::