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Muriel Cerf : la vigie

Journal de la culture No 8

De Muriel Cerf émane l’exubérance de ceux qui ont souffert et qui transcendent la douleur un stylo à la main. Souffrance de l’absence du père, qui aurait dû être écrivain ou compositeur, et qui se donne la mort en 1977 ; d’une mère qui n’a jamais vu naître de sentiment maternel, d’une grand-mère qui, à l'âge de 50 ans, l’a recueillie et l'a élevée, la délicieuse Mamita de Julia M. ou le premier regard, bonne vivante, laxiste certes, mais attentive.
Rencontre dans un minuscule appartement proche de Pigalle, entre livres, manuscrits et cartons non encore défaits de cette éternelle voyageuse qui depuis trente ans traduit en mots les maux de son temps.

Joseph Vebret, 2004


Vous avez commencé à écrire et à publier très jeune. Comment vous est venu ce besoin impérieux d’écrire et de ne faire que cela ?

En effet, j’ai beaucoup voyagé étant jeune : depuis l’âge de treize ou quatorze ans, je ne prenais plus un repas chez moi, à Paris. J’ai vraiment bourlingué, je voyais des gens sans rapport avec ma génération : j’avais des amis à Rome, j’allais en Italie, j’avais des amis à Londres, j’allais en Angleterre… Et je prenais des notes tout le temps. Je me sentais d’ailleurs davantage chez moi à Londres ou à Florence que sous le toit familial. Puis j’ai passé mon Bac et suivi les cours de l’Ecole du Louvre : l’écriture n’était absolument pas un but obsessionnel.
C’est en Indonésie, quand je venais d’avoir vingt-et-un ans, que j’ai rencontré celui qui a probablement été mon plus grand amour et directeur de conscience – qui maintenant n’est plus et à propos duquel j’ai écrit Le Diable vert, mon second livre. Wija W. avait le double de mon âge, détail insoupçonnable, lisait mes notes et me disait : « Tu dois écrire, c’est vraiment ton univers, invente tes propres scénarios. » Moi j’avais plutôt idée que le hamac était chose délicieuse, et la plage, les rouleaux… et que de me marier et de faire des bébés, c’était mieux. Je n’ai fait que des bébés de papier, à mon plus grand regret.
Avant que je ne commence d’écrire L’antivoyage sur mon Underwood, je me disais : « C’est peut-être un peu ambitieux pour moi de tenter de vivre de mes romans, et d’abord je ne sais même pas comment on fait pour en concrétiser un. » Et puis, seule face à ma machine à écrire, je me suis immergée dans une sorte de bain alchimique total : l’Inde, l’Asie, mon continent matriciel…

Le livre paraît alors que vous avez 24 ans, puis vous enchaînez à peu près un livre par an jusqu’à aujourd’hui. Vous êtes aussitôt reconnue par la critique…

J’ai abordé mon travail sur l’Inde sans méthode spéciale. A priori, je n’étais bonne que dans le poème et l’essai… Pour mon premier roman, j’ai alors adopté un système d’écriture en « croix » : une narration forcément linéaire, croisée avec tout ce qui est du domaine de la réflexion, la poésie, des flashes… tout ce qui va vers l’inconscient, tout ce qui descend vers les profondeurs… Miller est un bon maître en la matière. Il vous entraîne dans une soirée de folie ordinaire avec des copains, puis dans une boite de nuit et on se retrouve à Babylone… ! Soudain, au sol de la boite la plus crade, Miller voit briller une poussière de saphir, ressuscite tout l’Orient ancien… Là, on a l’essence même de la narration, c’est-à-dire ne surtout pas narrer, aller directement au couteau dans l’important, donner au lecteur l’envie de vous suivre, lui faire découvrir d’autres civilisations, avec des personnages mûrement décrits, amener le lecteur à la seule vérité du livre : si j’en enlevais toute intrigue à proprement parler romanesque, le livre serait peut-être épatant, mais qui le publierait ?

Cela a fonctionné ?

Magnifiquement. J’ai fini mon « Antivoyage », et je l’ai donné à taper à une secrétaire martiniquaise qui faisait des heures sup’ dans un cabaret, une femme splendide mais complètement illettrée : quand il y avait un rythme – petits blancs, grands blancs, espaces… – elle est allée à la ligne à chaque point ! Lorsque, par le plus grand des hasards – malédiction ou bénédiction de ma vie ? je ne le saurai jamais –, Roger Caillois a ouvert le manuscrit d’une sombre inconnue, c’était un texte étrange avec, de ma main, des flèches au feutre pour indiquer que ce n’était pas un effet de style que la multiplication de tous ces paragraphes… Caillois a lu le truc en l’état, puis a téléphoné pour me dire : « Vous avez dix-huit sur vingt au comité de lecture de Gallimard. » C’était au début de l’automne soixante-treize, probablement un des plus sublimes de ma vie. J’ai été voir Caillois et nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre. Il attaquait à la cachaça à sept heures du matin, ce n’était un secret pour personne, mais pour moi, à onze heures, cela faisait un peu tôt. Initiée à la cachaça et à Yémanja, déesse de la mer, je revenais du Brésil, et dans ce grand appartement avec vue sur le Champs de Mars, je me suis dit que je rêvais plus fort que sur les terres amérindiennes. Sortie de là, j’ai vu les feuilles tourbillonner sous la Tour Eiffel, je me suis dit : « Non, ce n’est pas possible. » Je ne sais pas dans quel état je suis rentrée chez moi, et là le téléphone n’a pas cessé de sonner. C’était un miracle. Yémanja, peut-être…

Des vingt-six livres que vous avez écrit, semble émerger un goût prononcé pour l’exotisme, pour des individus confrontés à leur destin, mais aussi pour l’érotisme... Avez-vous une ligne directrice ?

Sur exotisme et érotisme, complètement. Quoi que l’exotisme pour moi serait plutôt d’être ici, en France, de ne pas vivre là où je devrais être. Et, plutôt que d’érotisme, je parlerais de sensualité…
Je crois qu’il n’y a rien de conscient dans ma démarche, de déterminé par le cortex. Il y a le visuel, les yeux. La scène vue, c’est ce qui est reçu d’emblée, comme un choc premier, énigmatique, d’où tout est à transcrire, à traduire. Au début, il y a un étonnement, puis un travail d’égyptologue – par exemple sur le thème du mal.
Si beaucoup de mes derniers livres traitent du mal, c’est que j’ai eu à en décrypter les approches quotidiennes. C’est en voyant arriver le mal, comme une épidémie, un nuage, que j’ai voulu analyser ses stratégies. Devant le danger, ma subjugation, totalement animale, viscérale, précède une pétrification : je ne bouge plus car je ne sais pas d’où cela va venir, d’où cela va taper. C’est ainsi que j’ai mis en scène des gouvernantes criminelles, un vieux nazi fou, une bédouine hallucinée qui frappe sa fille, etc. Il y a, au bout d’un certain temps d’écriture, une sorte d’automatisme qui relève d’une dramaturgie imposée. Cet informe qu’est le mal prend une forme lisible : je suis juste une observatrice, une espèce de vigie

Votre œuvre est-elle ancrée dans une forme de spiritualité ?

Certainement, parce que j’ai passé plus de temps avec la mort qu’avec la vie. Au cours d’une existence, toute furtive quelle soit, il y a toujours la haute vague qui monte et qui va vous engloutir : l’accident de voiture, les jours et les nuits dans le coma, la mort du père… Nous sommes tous amenés à connaître ces moments-là. Mais certains vivent avec plein de bémols, en mode mineur. Je n’ai jamais eu droit à cela. Cette confrontation totale et permanente avec la mort fait que mon existence est ainsi : un pied dans une vie, et l’autre dans celle dont nous venons – puisque avant on ne sait pas où l’on était, et après on ne le sait pas non plus. Ma vie est juste à la frontière, qui est cuisante du reste, de la vision.

Propos recueillis par Joseph Vebret















Musee Guimet

La Fraise



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